jeudi 22 février 2018

19 - Le mur de parpaings

Tout est givré et la clarté du matin illumine le béton d’une petite construction sur un terrain privé.

En cet hiver ensoleillé, les parpaings sous le gel reflètent le ciel.

Et la glace ressemble à l’azur.

Le froid est vif, l’air léger et à cet instant sous les yeux d’un enfant plein d’éveil -ou de folie- l’érection de ciment devient transparente.

La propriété est assez grande, quoique banale.

Les gens qui vivent ici sont passablement lourds, épais, béotiens. Ainsi que le voisinage. Et même toute la rue. Seule la progéniture de cette société de lourdauds, dehors, rit et chante. Eux les adultes bouffent, boivent, paressent, se chauffent, à l’intérieur. Leurs voitures sont neuves, leurs femmes pré-ménopausées, leurs aspirations vulgaires.

Mais revenons à la maison dont dépend le bétonnage évoqué...

Cette demeure moderne tout confort que les propriétaires trouvent fort belle est bien évidemment fort laide : pragmatique, blanche, bien carrée, bien isolée, bien chauffée, dûment remboursée.

Et ce mur de rectangles couleur cendre dans la blancheur de cette matinée de janvier, le dernier de leurs soucis d’épiciers bedonnants.

C’est ce qu’il y a dans cette maçonnerie sommaire qui les intéresse. Là dorment les outils d’été : tondeuses à gazons, pneus de rechange, tronçonneuses et autres inepties d’adipeux Duponts.

Bref, un semblable mystère se dégage et de la matière rêche, grise, gelée que constitue cet abri et de la couche de givre blanchissant le monde.

Et submerge une jeune âme.

J’ai dix ou onze ans, je suis dans un village habité par des veaux, nommé Warloy-Baillon, et à travers une architecture basique faite de blocs rugueux, érigée par un de ces bovins qui m'entourent, je perçois subitement toute la subtilité de l’Univers.

Pour moi l’opacité des choses n’est plus un voile, plus une barrière : l’essentiel transperce la pierre, traverse les agglomérats et l’éclat de la neige se révèle en toutes circonstances aux natures éthérées.

Une quarantaine d’années après, je garde de cette expérience un souvenir aussi lumineux qu’au premier jour.

J’ai entendu dire que les veaux de mon enfance étaient devenus des boeufs, là-bas, à Warloy-Baillon.

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Qui est Raphaël Zacharie de IZARRA ?

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J'ai embrassé tous les aspects du monde, du gouffre le plus bas au sommet le plus glorieux, de l'anodin au sublime, de la bête au divin, du simple caillou à qui j'ai donné la parole jusqu'au fracas galactique que j'ai réduit au silence devant un battement d'aile. Je suis parti du microcosme pour me hisser jusqu'aux astres, sans omettre de poser mon regard à hauteur de vos boutons de chemise. J'ai exploré les vices les plus baroques autant que les vertus les moins partagées, je suis allé sonder les petits ruisseaux mentaux de mes frères humains mais aussi les fleuves nocturnes de mes chats énigmatiques. Je suis allé chercher le feu olympien à droite et à gauche, m'attardant à l'occasion sur mes doigts de pied. J'ai fait tout un fromage de vos mesquineries de mortels, une montagne de mots des fumées de ce siècle, un pâté de sable de vos trésors. L'amour, la laideur, la solitude, la vie, la mort, les rêves, l'excrément, le houblon, la pourriture, l'insignifiance, les poubelles de mon voisin, le plaisir, le vinaigre, la douleur, la mer : tout a été abordé. J'ai embrassé l'Univers d'un regard à la fois grave et loufoque, limpide et fulgurant, lucide et léger, aérien et "enclumier".