mardi 12 décembre 2023

37 - Botte à l'oeuf

Quand j'étais enfant à Warloy-Baillon, mes jeux consistaient en des activités saugrenues, loufoques, hors de la raison et de toute mesure.
 
Et s'avéraient dangereux parfois. (Outre mes cascades vélocipédiques, mes escapades dans les champs minés des rebus létaux de la "14" et mes escalades sylvestres vertigineuses, je fabriquais de véritables bombes portatives avec des poudres explosives faites maison).
 
Pour moi tout cela semblait bien banal. Je vivais dans mes normes, ni plus ni moins, sans me poser plus de questions.
 
Je respirais l'air enivrant de la liberté, loin des préjugés des adultes. Léger comme un fétu d'insignifiance sous l'azur du printemps, aussi lourd qu'un éléphant dès que je me confrontais aux soucis des grandes personnes, dont je me contrefichais.
 
Je pouvais marcher paisiblement dans la campagne le nez dans les nuages et cependant me tenir prêt à croiser le loup, très sérieusement. Ou bien m'endormir dans les herbes sauvages, ivre de papillons, et m'envoler aussitôt de ma literie végétale pour je ne sais quelle aventure forestière au retour incertain, soit maculé de boue jusqu'aux cheveux, soit sans plus de semelles ni pensées claires, soit encore ramenant fièrement sur le dos le cadavre décomposé d'un renard.
 
Telle se présentait à moi la vie. Et je la prenais avec toute l'ingénuité de mon coeur puéril. Mais aussi avec toute l'immensité de ma jeune âme dénuée d'oeillères.
 
Bête et heureux, j'expérimentais le monde avec autant de candeur que d'esprit pseudo scientifique, n'hésitant jamais à faire des mélanges hasardeux avec chaque enchantement de la Création qui me tombait sous la main.
 
Je pouvais concevoir une "géniale" industrie ludique, vaine et éphémère, basée sur l'alliance du sucre et du vinaigre. Imaginer une mélodie improbable faite de chants d'oiseaux émis à travers un philtre de bave de limace. Ou bien fabriquer un savon révolutionnaire hyper décapant en incorporant de vagues acides pharmaceutiques à un bloc de margarine périmée... Enfin n'importe quelle absurdité, pourvu que le résultat fût fracassant, ignoble, merveilleux.
 
Même si parfois je ne récoltais qu'une décevante, stérile, muette inertie des choses...
 
Bref, j'aimais allier le pétard à la guimauve.
 
J'inventais sans jamais me lasser toutes sortes d'extravagances. Livré à mes rêves sans borne, chaque jour il me passait dix folies par la tête. Tantôt niaises, tantôt sulfureuses. Je tentais de donner corps à certaines d'entre elles. Mais bien souvent celles-ci tombaient à l'eau, ne résistant tout simplement pas à l'épreuve du réel. Bien que parvenu à l'âge de raison, cela ne m'empêchait pas d'ignorer joyeusement les mécanismes de la physique et les principes de la nature les plus élémentaires ! Nullement découragé par mes échecs répétés, encouragé par mes rares succès de petit bohémien illuminé, je m'ingéniais à vouloir violer les lois de la matière, à contraindre à ma volonté le vent, les oiseaux, la Lune.
 
Je pensais que mon imaginaire seul faisait autorité sur tout. Mes heures de bonheur naturel ne me suffisaient pas. Pour les relever, il me fallait ajouter du soufre, des guirlandes, du jus de citron, du miel, de la crème, des queues de cerise, des flammes de roses et des baisers de vipères.
 
Ou même carrément, un oeuf.
 
Toutes ces impérieuses bagatelles, c'était mon sel à moi.
 
Ainsi je pris l'habitude de placer un coco tout frais au fond de l'une de mes bottes en caoutchouc. Et ce afin d'égayer ma journée, du moins selon mes critères de l'époque...
 
Alors le bruit de mes pas devenait spongieux jusqu'au soir. Ce qui faisait éclater de rire Raymond, un ouvrier agricole qui prêtait beaucoup d'attention à mes singeries. Sous ses yeux, je me donnais en spectacle sans retenue, et je sentais bien que devant lui j'avais l'envergure d'un prince.
 
Plié en deux, dans la cour de la ferme il s'esclaffait sans discontinuer ! Ses larmes de délices rayonnaient au soleil.
 
En écrasant la coquille à l'intérieur de ma chaussure pour en faire une omelette visqueuse entre mes orteils, je provoquais des incendies d'hilarité.
 
Lorsque je libérais mon pied de son étreinte une fois la plaisanterie totalement achevée, en voyant dégouliner la jaune et odorante liqueur, j'avais l'impression qu'un ogre avait chié dans mon croquenot !
 
Mais surtout, une fois rentré chez moi, j'entendais toujours Raymond qui se bidonnait... Et je l'entends encore, un demi-siècle après.

J'avais allumé une étoile au village.

Qui est Raphaël Zacharie de IZARRA ?

Ma photo
J'ai embrassé tous les aspects du monde, du gouffre le plus bas au sommet le plus glorieux, de l'anodin au sublime, de la bête au divin, du simple caillou à qui j'ai donné la parole jusqu'au fracas galactique que j'ai réduit au silence devant un battement d'aile. Je suis parti du microcosme pour me hisser jusqu'aux astres, sans omettre de poser mon regard à hauteur de vos boutons de chemise. J'ai exploré les vices les plus baroques autant que les vertus les moins partagées, je suis allé sonder les petits ruisseaux mentaux de mes frères humains mais aussi les fleuves nocturnes de mes chats énigmatiques. Je suis allé chercher le feu olympien à droite et à gauche, m'attardant à l'occasion sur mes doigts de pied. J'ai fait tout un fromage de vos mesquineries de mortels, une montagne de mots des fumées de ce siècle, un pâté de sable de vos trésors. L'amour, la laideur, la solitude, la vie, la mort, les rêves, l'excrément, le houblon, la pourriture, l'insignifiance, les poubelles de mon voisin, le plaisir, le vinaigre, la douleur, la mer : tout a été abordé. J'ai embrassé l'Univers d'un regard à la fois grave et loufoque, limpide et fulgurant, lucide et léger, aérien et "enclumier".