En mille-neuf-cent-soixante-quinze j'avais dix ans et la France dans les
campagnes, toutes très animées, chaussait encore des sabots. Elle était vêtue de
paille ou bien crottée de fumier et chantait des airs du siècle d’avant. Elle
portait des casquettes crasseuses et arborait des faces burinées. Des signes qui
aujourd'hui pourraient sembler dérisoires ou simplement pittoresques. Mais qui
en disaient long sur ces vieilles gens aux destins âpres et humbles que je n'ai
pas oubliés...
Les vaches dans les pâtures autour des maisons faisaient partie de la
population. Les chiens hurlaient parfois à la mort au crépuscule et le matin le
coq sonnait l'heure du réveil.
Les feux le bois qui brulaient au fond des jardins répandaient une odeur de
paradis champêtre. Ca sentait bon les parfums bucoliques, la fumée issue des
végétaux n'étant pas considérée à cette époque comme une pollution mais comme
l'émanation de la joie de vivre.
Même en ville on respirait le contenu des réservoirs d‘essence mêlé d’azur,
humait l’herbe fraîche aux abords du goudron.
Et partout l'on s’abreuvait de vraie liberté de pensée.
Les enfants se promenaient dans les bois sans écran de lecture au bout des
doigts mais avec un écrin de verdure sous les pieds.
Avec dans une main un bouquet de fleurs, dans l'autre un livre. Les jeunes
étaient connectés à la nature, au réel, à l'Univers entier. Non à la 5G.
Il y avait des mots d’amour dans le ciel, des papillons dans le coeur des
villageois, du soleil dans leurs poches. En été à midi on mangeait portes et
fenêtres ouvertes. Et les bruits des couverts se mêlaient au chant des oiseaux,
innombrables. Les fils électriques, comme des partitions de musique au bord des
routes, en accueillait par milliers...
Le soir les voisins se postaient sur le seuil de leur porte et se
parlaient, se tenant au courant des nouvelles locales, colportant rumeurs et
ragots, commentant à n'en plus finir la pluie et le beau temps...
Tels étaient, en terres rurales, le quotidien et l'évasion de ce peuple
heureux de ma jeunesse, âmes honnêtes au sort sans histoire et aux jours
paisibles, loin, très loin du sentiment de malheur et de perdition de notre
monde technologique.
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