vendredi 10 janvier 2014

12 - UNE VALSE DANS LES RUINES INDUSTRIELLES

Mademoiselle,

Vous entrez dès maintenant dans l'univers intime de mes molles errances poétiques. Figurez-vous que je vous ai rêvée dans le Nord de la France, entre Amiens et Arras, peut-être un peu plus haut, un peu plus loin au fond des brumes de ces terres oubliées.

Lors de cette rêverie nous étions vous et moi au bord d'une aire de démolition, égarés en ce triste asile telles deux silhouettes surgies du brouillard, déambulant entre des bris épars de quelques pans de mur qui avaient formé autrefois un complexe édifice.

Seuls au centre d'une grande, plate étendue sans nulle habitation, sous un ciel terne, morne, éteint.

En fait il s'agissait d'une usine désaffectée datant de la fin du XIXème siècle. Des ruines industrielles comme on en voit au nord du pays, faites essentiellement de matériaux disséminés et de friches. Nous cheminions paisiblement au sein de ce site déserté, côte à côte, confusément témoins du glorieux naufrage d'un passé que nous n'avions jamais connu.

Tant de laideur, dans cette atmosphère onirique, troublait nos âmes. L'ancien établissement décrépit était transfiguré par sa lente agonie, sa déchéance lui conférant un aspect de noblesse. Errant avec vous en ces lieux désolés, je sentais grandir en moi un puissant et étrange sentiment d'amour.

Je stoppai le pas et, tout en prenant votre main, je vous fis face. Mon regard sur vous se fit plus attentionné, et dans un élan résolu je vous entraînai vers une chorégraphie improvisée. Sous les nuées sombres, au milieu des herbes folles et des façades éboulées, insensiblement nous nous mîmes à valser. Emportés par ce tourbillon confidentiel, presque surnaturel, nous entrâmes en contact intime avec le décor mélancolique qui nous entourait.

Au gré du vent qui tournoyait autour de nous, dévié au coeur de la plaine par les hautes parois encore debout de la vieille fabrique, vos boucles blondes volaient, s'enroulaient comme des flammes vives dans l'air. Avec des mèches qui tantôt s'agitaient dans votre cou découvert, tantôt dissimulaient à demi vos traits. Dansant maladroitement, nous trébuchions parfois contre les débris enfouis sous la végétation, et selon les caprices de nos pas de danse mal assurés, nous allions et venions parmi ces décombres.

Puis, cessant le jeu, nous demeurâmes un instant immobiles, tandis que la flore cachait vos chevilles. Pudique, je me focalisai sur votre visage. Alors, d'un geste hésitant j'effleurai votre joue. La brise se mit à battre doucement vos tempes et entre mes doigts s'emmêlèrent quelques mèches déliées de votre chevelure.

Là, tout devînt étrangement beau : votre face sous la nue houleuse prit des allures insolites... Vos cheveux étaient des vrilles sous le frisson d'Éole, des filaments impondérables qui fuyaient ma caresse. Vos yeux qui clignaient n'étaient plus que deux échos de la brume, répandant une grande mélancolie, et leurs pupilles vagues faisaient aimer passionnément la bruine.

Votre sourire incertain renforçait l'ambiance irréelle de ce cloître sauvage, la propageait au-delà des pierrailles qui gisaient dans l'ivraie, vestiges d'un monde révolu, par-dessus les hauteurs éphémères de ces reliques  en sursis, témoins mornes de notre ballet impromptu.

J'entendais le souffle de l'azur, je le sentais jouer autour de vous, j'avais un peu froid, et vous Mademoiselle, vous deveniez belle et triste comme cette verdure, ces briques rouges, ce champ de gravats.

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Qui est Raphaël Zacharie de IZARRA ?

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J'ai embrassé tous les aspects du monde, du gouffre le plus bas au sommet le plus glorieux, de l'anodin au sublime, de la bête au divin, du simple caillou à qui j'ai donné la parole jusqu'au fracas galactique que j'ai réduit au silence devant un battement d'aile. Je suis parti du microcosme pour me hisser jusqu'aux astres, sans omettre de poser mon regard à hauteur de vos boutons de chemise. J'ai exploré les vices les plus baroques autant que les vertus les moins partagées, je suis allé sonder les petits ruisseaux mentaux de mes frères humains mais aussi les fleuves nocturnes de mes chats énigmatiques. Je suis allé chercher le feu olympien à droite et à gauche, m'attardant à l'occasion sur mes doigts de pied. J'ai fait tout un fromage de vos mesquineries de mortels, une montagne de mots des fumées de ce siècle, un pâté de sable de vos trésors. L'amour, la laideur, la solitude, la vie, la mort, les rêves, l'excrément, le houblon, la pourriture, l'insignifiance, les poubelles de mon voisin, le plaisir, le vinaigre, la douleur, la mer : tout a été abordé. J'ai embrassé l'Univers d'un regard à la fois grave et loufoque, limpide et fulgurant, lucide et léger, aérien et "enclumier".