vendredi 10 janvier 2014

15 - CHÉ PICARDS DES CAMPS

(Les picards des champs)

Mortels sont certains villages picards à la morne saison. Sous la pluie, la brique rouge devient grise et les gouttières qui débordent hantent les âmes de leur chant monotone. Alors les casquettes longent les murs, les aboiements deviennent déprimants et les clochers lugubres. Triste est la terre du nord quand on en exhume les betteraves à sucre, sombre est le ciel de là-bas à la récolte des endives qu'on épluche devant l'âtre... Le temps des patates cependant réjouit les coeurs picards : la frite jaune -qu'accompagne la bière dorée- égaient ce pays de peupliers et de crachin.

Les chemins de craie sous l'onde mènent vers des horizons pleins d'ennui : la terre promise autour de ces villages d'enterrés est faite de peine et de larmes, de langueur et de grisaille. Le souvenir des batailles de la "14" est partout, et les corbeaux avec leurs plaintes funèbres donnent du relief au lointain trop plat.

Le soir au troquet le tabac est âcre et le jus sent la gnôle, les moustaches sont épaisses et les mots toujours les mêmes. Mais les coeurs restent grands ouverts. Dans les brumes de l'ivresse on cause chasse, pièges-à-loups, charbon, saucisses, braconnage, femmes.

Dans les rues désertes les nuits sont de longs rêves humides et glacés.

L'aube sous les pleurs sans fin de l'automne est cafardeuse, la rosée lourde, le café exquis.

J'aime les trous perdus de la Picardie intime : c'est dans ces terres froides et trempées, noires et profondes que j'ai pris racine.

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Qui est Raphaël Zacharie de IZARRA ?

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J'ai embrassé tous les aspects du monde, du gouffre le plus bas au sommet le plus glorieux, de l'anodin au sublime, de la bête au divin, du simple caillou à qui j'ai donné la parole jusqu'au fracas galactique que j'ai réduit au silence devant un battement d'aile. Je suis parti du microcosme pour me hisser jusqu'aux astres, sans omettre de poser mon regard à hauteur de vos boutons de chemise. J'ai exploré les vices les plus baroques autant que les vertus les moins partagées, je suis allé sonder les petits ruisseaux mentaux de mes frères humains mais aussi les fleuves nocturnes de mes chats énigmatiques. Je suis allé chercher le feu olympien à droite et à gauche, m'attardant à l'occasion sur mes doigts de pied. J'ai fait tout un fromage de vos mesquineries de mortels, une montagne de mots des fumées de ce siècle, un pâté de sable de vos trésors. L'amour, la laideur, la solitude, la vie, la mort, les rêves, l'excrément, le houblon, la pourriture, l'insignifiance, les poubelles de mon voisin, le plaisir, le vinaigre, la douleur, la mer : tout a été abordé. J'ai embrassé l'Univers d'un regard à la fois grave et loufoque, limpide et fulgurant, lucide et léger, aérien et "enclumier".