A douze ans j'avais des océans dans la tête, plein de lumière dans le
regard, des boules de neige dans les mains et face à moi, un horizon de liberté
: un simple champ, perdu dans la brume de décembre, qui me semblait
infini.
J'étais entouré de blanc, de gel, de pureté et la campagne brillait de
dureté.
Dans le silence de l'âpre saison, ma jeune âme s'abreuvait de glace,
s'enivrait de givre en contemplant avec extase la cruelle beauté du paysage figé
dans la mort.
Plongé dans ce rêve éclatant où le froid avait rendu toute chose sacrée en
y déposant son voile mortuaire, je ne sentais pas la morsure de l'hiver sur mes
doigts.
Le spectacle du Beau me rendait insensible aux douleurs mesquines du
quotidien, aux petites tendresses humaines, aux douceurs charnelles, aux
conventions de la civilisation, aux modes et malheurs du siècle.
Je trouvais cela insignifiant, vulgaire, superficiel, loin de moi,
insipide, méprisable.
Seule comptait la vision virginale de cet univers féroce où tout se
transformait en pierre sous la caresse hivernale.
Je m'enfonçais dans le brouillard avec les deux meilleures compagnies qui
soient : le calme et la solitude.
Je cheminais ainsi, heureux et méditatif au milieu de cet espace
frigorifié, soutenu par la rigueur des éléments...
Tenant d'une main l'austérité, de l'autre la Poésie.
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