vendredi 10 janvier 2014

3 - DU CÔTÉ DE WARLOY-BAILLON

A pied, à bicyclette ou en voiture, lorsque vous arrivez de la route de Hénencourt, gravissant l'ultime côte raide et sèche qui précède la formidable plongée vers le bourg, vous surplombez soudain un monde qui semble s'annoncer à part. Au sommet de cette pente vous êtes sur le bord d'une cuvette naturelle et embrassez du regard une vallée. Avec, au fond, des toits d'ardoise, de la brique rouge, un clocher massif, le tout entouré, protégé par de grands carrés de terres aux sillons beaux et droits... Vous êtes à Warloy‑Baillon !

A quelque distance de là, vous apercevez un moulin abandonné qui domine la campagne, relique irréelle, décor suprême d'un milieu pastoral lyrique et joyeux. Derrière un voile de brume, l'apparition sera empreinte de poésie... Depuis cette hauteur enchanteresse, l'oeil attentif retient de ce tableau paisible tout un univers intime, retiré et mystérieux, un microcosme où semblent s'être réfugiés les secrets champêtres les plus charmants.

Déboulant de ce versant pittoresque qui mène à la cité, vous pouvez goûter les premiers charmes bucoliques de Warloy-Baillon. En fait vous êtes là à Baillon... Un petit pont vous salue dès l'entrée et, arpentant bientôt la montée sinueuse qui démarre de l'église pour finir sur la rue du Général Leclerc, vous débouchez par là-même dans Warloy (« par en haut », a-t-on coutume de dire). Et vous avez alors traversé en son coeur l'agglomération, reliant ainsi en quelques pas flâneurs ‑ si vous êtes à pieds ‑ les deux parties graduelles de la localité.

Puis vous vous dirigez vers "le chemin d'Harponville" et là, vous pénétrez dans un domaine autrement sacré, celui qui a marqué à l'encre intense de la vie une âme fraîche : la mienne. Rêveuse, errante et radieuse, telle fut mon enfance à Warloy-Baillon.

Oui, mon royaume, mes marques, mes nostalgies, c'est Warloy‑Baillon.

"Le chemin d'Harponville"... Point de départ de l'évasion pédestre menant vers une multitude d'ailleurs, ruban de calcaire immaculé bordé de rouges pavots, lieu majeur de toutes les aventures. Enfant, ce parcours me semblait se perdre à l'infini vers des horizons fabuleux, des idéaux inaccessibles...

Exilé de ce berceau de mes vertes années, je repense avec tendresse à mon village. Warloy‑Baillon c'était pour moi comme une personne, un ami. Son sourire c'était le clair azur, sa voix le vent du nord, ses pleurs les pluies mornes. Olympienne était la sérénité lorsque tombait sur les toits la clarté des astres... De jours nébuleux en crépuscules triomphants et de dimanches mortels en nuits lumineuses, j'étais heureux à Warloy‑Baillon, premier paradis de ma vie, verger de ma folle jeunesse.

Mais Warloy‑Baillon c'est aussi une plaine mélancolique et pesante, c'est des hiboux que l'on dérange près du "bois Darras", des peupliers et de la craie blanche ‑ éclatante au soleil d'été -, des papillons, blancs eux aussi... Au détour de quelque sentier poussiéreux, des coquelicots encerclent des blockhaus. Les grandes chaleurs parfois sont solennelles et profondes : dans un silence de mort perce la flore et repose la ruine.

Au loin, le chant des alouettes. Sous les pieds, les soupirs de l'Histoire. Partout, des espaces semés de feu et de fer. Oui, la "Der des der" est passée à Warloy... Et c'est peut-être à cause de cela que vous tiendrez encore plus à ces champs pleins de murmures.

Lorsque de ce pays qui est le mien vous lèverez les yeux vers les étoiles, vers ces constellations mythologiques qui brillent éternellement au-dessus de nos têtes, n'omettez pas de leur adresser une ou deux pensées pour moi, elles me parviendront. De mon lointain exil, je les regarde chaque soir.

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Qui est Raphaël Zacharie de IZARRA ?

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J'ai embrassé tous les aspects du monde, du gouffre le plus bas au sommet le plus glorieux, de l'anodin au sublime, de la bête au divin, du simple caillou à qui j'ai donné la parole jusqu'au fracas galactique que j'ai réduit au silence devant un battement d'aile. Je suis parti du microcosme pour me hisser jusqu'aux astres, sans omettre de poser mon regard à hauteur de vos boutons de chemise. J'ai exploré les vices les plus baroques autant que les vertus les moins partagées, je suis allé sonder les petits ruisseaux mentaux de mes frères humains mais aussi les fleuves nocturnes de mes chats énigmatiques. Je suis allé chercher le feu olympien à droite et à gauche, m'attardant à l'occasion sur mes doigts de pied. J'ai fait tout un fromage de vos mesquineries de mortels, une montagne de mots des fumées de ce siècle, un pâté de sable de vos trésors. L'amour, la laideur, la solitude, la vie, la mort, les rêves, l'excrément, le houblon, la pourriture, l'insignifiance, les poubelles de mon voisin, le plaisir, le vinaigre, la douleur, la mer : tout a été abordé. J'ai embrassé l'Univers d'un regard à la fois grave et loufoque, limpide et fulgurant, lucide et léger, aérien et "enclumier".