samedi 28 novembre 2020

25 - Je pissais dans la mer

Très jeune, je me trouvai face à la mer du Nord.

Du haut de mes six ou sept ans, je me percevais comme un grain de sable devant l’immensité des flots.

Ces grandes étendues m’impressionnaient. Les vastes espaces maritimes me semblaient infinis.

J’avais les chevilles dans l’écume, plein d’interrogations dans la tête, le coeur naviguant sur les vagues, mes poches remplies de coquillages.

Et de la candeur dans le regard.

L’envie me prit de me soulager dans l‘eau. Je trouvais amusant l’idée de faire jaillir de mon flanc puéril cette source intime et de la voir se joindre à cet incommensurable ciel liquide.

Alors j’accomplis mon geste innocent. Le déluge commença.

Et là, une grande chose se produisit.

Je vis une pluie argentée chanter au contact de la marée. Dans mon esprit juvénile, je compris soudain les rapports prodigieux reliant les éléments entre eux.

A travers l’ondée issue de mes entrailles s’unissant au torrent marin, je devinais les mystères de la nature, les secrets du Cosmos, la fantaisie de la vie, les miracles de la Création.

Et la présence de Dieu.

Ainsi mon urine d’enfant rejoignait les profondeurs de l’Univers pour les agiter un peu plus.

Je faisais briller la matière, ensemençant le réel, la vie de quelques gouttes d’urée. J’abreuvais le monde de cette averse tiède, joyeuse et naïve...

Et puis finalement, dans cette communion des fluides, je participais au grand ballet cosmique...

Et je pissais, émerveillé, étonné, intrigué, enchanté, heureux de ma découverte !

Ma journée se passa au bord du rivage, dans les rouleaux et dans la lumière.

Le soir venu, fatigué, je me reposai sur la plage en rêvant sous les étoiles.

Je sentais ma vessie se remplir, l’onde salée naître en moi : le sel et le flux de mon corps se mêleraient bientôt au sel et au flux de l’Atlantique.

Et je somnolais encore un peu, vaguement conscient de retenir dans le creux de ma chair une partie de la genèse.

Dans mes viscères sourdait un nouvel océan.

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Qui est Raphaël Zacharie de IZARRA ?

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J'ai embrassé tous les aspects du monde, du gouffre le plus bas au sommet le plus glorieux, de l'anodin au sublime, de la bête au divin, du simple caillou à qui j'ai donné la parole jusqu'au fracas galactique que j'ai réduit au silence devant un battement d'aile. Je suis parti du microcosme pour me hisser jusqu'aux astres, sans omettre de poser mon regard à hauteur de vos boutons de chemise. J'ai exploré les vices les plus baroques autant que les vertus les moins partagées, je suis allé sonder les petits ruisseaux mentaux de mes frères humains mais aussi les fleuves nocturnes de mes chats énigmatiques. Je suis allé chercher le feu olympien à droite et à gauche, m'attardant à l'occasion sur mes doigts de pied. J'ai fait tout un fromage de vos mesquineries de mortels, une montagne de mots des fumées de ce siècle, un pâté de sable de vos trésors. L'amour, la laideur, la solitude, la vie, la mort, les rêves, l'excrément, le houblon, la pourriture, l'insignifiance, les poubelles de mon voisin, le plaisir, le vinaigre, la douleur, la mer : tout a été abordé. J'ai embrassé l'Univers d'un regard à la fois grave et loufoque, limpide et fulgurant, lucide et léger, aérien et "enclumier".