mardi 11 octobre 2022

31- Amiens

Amiens, ville triste aux sommets pleins de pesanteurs, fut le premier horizon de mon enfance. Une sorte de grand ciel sombre situé par-delà les bois et les plaines, loin de mon village.
 
Je percevais la capitale du département depuis la hauteur de mes douze ans. Avec un regard double, naïf et acerbe : celui du corbeau des champs et celui du papillon des jardins. C'est-à-dire un mélange de nuages et de Soleil, de neige et de suie, de vagues et de flammes.
 
J'avais déjà des ailes pour survoler le monde et le voyais entre l'ombre et la lumière, le caniveau et l'azur, la ronce et la fleur. Et considérais par conséquent les choses non platement mais avec la vigueur de mes sentiments graves et frivoles.
 
Bref, cette Babylone du royaume de la betterave me paraissait aussi sinistre que sublime.

Brillante comme le charbon.
 
En effet, la cité picarde endeuillée par la brique, figée dans une ambiance mortelle -et cependant magnifiée par sa cathédrale-, a un charme crépusculaire.
 
Et ressemble à un vaste cimetière.
 
Un lieu de peines et de pluies hanté par des âmes vivantes et des endives mortes, des astres pâles et des coeurs lunaires. Le peuple amiénois est une mer de ténèbres qui a le sourire.
 
En cette agglomération du nord coule le plomb des siècles et remontent les brumes de la nuit. C'est une vieille gargouille qui a l'habitude des larmes. Ce qui lui confère ce visage spectral, cet air morne, ce teint noir. La grisaille alourdit ses pavés et l'averse fait sangloter ses toits. Et l’été qui rayonne en vain sur son éternelle langueur n’arrange rien à la situation. L'éclat de la flèche gothique rivalise avec la morosité de la Tour Perret : l'une désigne un âge stellaire, l'autre des jours d'agonie.
 
En toutes saisons, les rues de ce chef-lieu sont hivernales et les gouttières débordent de regrets.
 
Mais aucune année n'y est mauvaise pourtant car il y a, pour alléger cette préfecture maussade, les hortillonnages, Ché Cabotans, ainsi que les macarons.
 
Sans oublier la frite qui se marie à merveille à la bière.
 
Vous qui venez du sud ou bien d'ailleurs, vous serez toujours les bienvenus dans ce pays de craie, de flotte et de déprime qu'est la Somme.

Et n'oublierez jamais son plus terne joyau, Amiens.

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Qui est Raphaël Zacharie de IZARRA ?

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J'ai embrassé tous les aspects du monde, du gouffre le plus bas au sommet le plus glorieux, de l'anodin au sublime, de la bête au divin, du simple caillou à qui j'ai donné la parole jusqu'au fracas galactique que j'ai réduit au silence devant un battement d'aile. Je suis parti du microcosme pour me hisser jusqu'aux astres, sans omettre de poser mon regard à hauteur de vos boutons de chemise. J'ai exploré les vices les plus baroques autant que les vertus les moins partagées, je suis allé sonder les petits ruisseaux mentaux de mes frères humains mais aussi les fleuves nocturnes de mes chats énigmatiques. Je suis allé chercher le feu olympien à droite et à gauche, m'attardant à l'occasion sur mes doigts de pied. J'ai fait tout un fromage de vos mesquineries de mortels, une montagne de mots des fumées de ce siècle, un pâté de sable de vos trésors. L'amour, la laideur, la solitude, la vie, la mort, les rêves, l'excrément, le houblon, la pourriture, l'insignifiance, les poubelles de mon voisin, le plaisir, le vinaigre, la douleur, la mer : tout a été abordé. J'ai embrassé l'Univers d'un regard à la fois grave et loufoque, limpide et fulgurant, lucide et léger, aérien et "enclumier".