vendredi 10 janvier 2014

14 - DES GRAINS DE SABLE DANS UN SONGE

Mademoiselle,

Dans l'infini imaginaire, j'ai des souvenirs de votre présence près de moi. Un coeur qui bat ne demande pas de compte au réel, il n'a nullement besoin de tangibles preuves d'une promenade amoureuse ou de paroles pour continuer à battre. L'idée seule de ce bonheur l'émeut.

Dans ce rêve je me tenais donc à vos côtés. Nous cheminions ensemble, égarés dans des étendues maritimes en friches que je crois connaître.

Peut-être Fort Mahon, Cayeux-sur-Mer ou quelque part ailleurs dans leurs proches alentours...

Nous baignions dans une clarté printanière, en pleine journée, et il semblait n'y avoir que nous deux dans cet espace. La réalité des choses se bornait au minéral, à la flore et à l'atmosphère. La chaleur de l'astre nous enveloppait, douce, agréable.

Pourquoi remarquais-je surtout vos chevilles nues enfouies à demi dans ce sol meuble ? Je l'ignore. Je pressentais qu'elles prenaient le parfum du limon, et cela me troublait étrangement. Comme si vous vous fondiez avec les monticules que nous foulions. Une manière subtile et directe de vous mêler avec la mer toute proche.

Ma main se referma sur la vôtre, et des particules de silice se mêlèrent à l'étreinte de nos doigts.

Je m'éveillais davantage, porté par l'odeur marine. Et fus immédiatement submergé par ces effluves. Exhalaisons remontant des profondeurs enfouies, évoquant les mystères de la matière... En écho à ceux de l'âme.

Nous marchions lentement, dans une proximité pudique. Parfois je m'arrêtais pour mieux sentir la caresse des éléments autour de mes pieds, car j'allais sans semelle moi aussi. Et puis lorsque je rouvrais les paupières votre visage m'apparaissait, paisible sous le vent, parmi les vagues immobiles brisées par nos talons.

Votre sourire à peine esquissé ressemblait aux tiges sauvages croissant çà et là sur les formations ondulées, ployant calmement dans l'air en mouvement. On ne voyait que ces reliefs sableux, et c'était rassurant parce que chacun d'eux incarnait un exemple de singulière beauté, simple et sans prétention.

Là se manifestait l'équilibre ordinaire de lignes suaves, minces, I'harmonie banale des formes savamment ordonnées par la nature. Une grâce tellement coutumière aux regards qu'elle n'atteint plus les sensibilités blasées. J'étais heureux de cette capacité d'émerveillement en moi, enchanté de trouver dans ces lieux délaissés, négligés, une espèce d'éden temporel digne de nos pas mêlés.

Le reste du monde nous abandonnait sur ce rivage, laissant mûrir au soleil ma flamme pour vous au gré de notre vagabondage.

Nous ne parlions guère, et nous n'entendions que le bruit de notre marche, car même la brise se faisait oublier, intimement liée au décor. Vos yeux à demi ouverts parcouraient ce site aréneux parsemé de verdure, sans se fixer précisément en un endroit déterminé.

A travers ces courbes molles et ces touffes de végétations, la Création s'exprimait sereinement, sans heurt, globalement. Rien ne brusquait l'attention, l'horizon entier formant une unité tranquille dont nous étions le centre.

Il n'y a pas de suite a notre flânerie dans ce littoral. Je me suis perdu dans une contemplation qui a éparpillé ma conscience dans le ciel, la lumière et les grains de sable au nombre presque infini. Je suis devenu les dunes, les herbes, l'azur, les cristaux entre vos orteils, dans vos cheveux et dans vos cils.

J'étais ce paysage à la fois dérisoire et sublime d'une plage illuminée, et cependant un peu triste. 

Et je vous percevais au sommet de cet univers, les mollets embaumés d'iode.

Avec, aux bords des lèvres, l'écume d'un premier baiser.

Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire

Qui est Raphaël Zacharie de IZARRA ?

Ma photo
J'ai embrassé tous les aspects du monde, du gouffre le plus bas au sommet le plus glorieux, de l'anodin au sublime, de la bête au divin, du simple caillou à qui j'ai donné la parole jusqu'au fracas galactique que j'ai réduit au silence devant un battement d'aile. Je suis parti du microcosme pour me hisser jusqu'aux astres, sans omettre de poser mon regard à hauteur de vos boutons de chemise. J'ai exploré les vices les plus baroques autant que les vertus les moins partagées, je suis allé sonder les petits ruisseaux mentaux de mes frères humains mais aussi les fleuves nocturnes de mes chats énigmatiques. Je suis allé chercher le feu olympien à droite et à gauche, m'attardant à l'occasion sur mes doigts de pied. J'ai fait tout un fromage de vos mesquineries de mortels, une montagne de mots des fumées de ce siècle, un pâté de sable de vos trésors. L'amour, la laideur, la solitude, la vie, la mort, les rêves, l'excrément, le houblon, la pourriture, l'insignifiance, les poubelles de mon voisin, le plaisir, le vinaigre, la douleur, la mer : tout a été abordé. J'ai embrassé l'Univers d'un regard à la fois grave et loufoque, limpide et fulgurant, lucide et léger, aérien et "enclumier".