mardi 7 mai 2024

38 - L'azur de Warloy-Baillon

Un nouveau jour se lève sur ma jeunesse : j'ai quinze ans et suis enraciné à Warloy-Baillon. J'ouvre les yeux sur un monde de bonheur et de lourdeurs, de beauté et d'ennui, de clarté et de grisaille.
 
L'aube est pleine de glace et de lumière, la journée peuplée d'ombres et de visages, le crépuscule chargé de flammes et de souvenirs.
 
Les heures sont cruciales mais trop jeune encore pour en mesurer la portée, je ne m'en rends pas vraiment compte. J'ai l'âge de l'insouciance et le coeur de l'idéaliste. Je me trouve au centre de l'Univers mais n'en ai nullement conscience. Sans le savoir, je vis la genèse d'une éternité.
 
Sous les nuages éblouissants de ce village banal, des ailes prolongent mes bras. Je deviens un oiseau des espaces oniriques et me perds dans les hauteurs de mon être. Tous s'éclaire, tous s'élargit, tout prend une dimension verticale.
 
En pleine nuit je fouille dans les poubelles de la pharmacie d'en face et de quelques-uns des voisins de la rue, et j'y découvre des éclats éphémères, des babioles au prix du rêve, des trésors périssables et d'autres petits riens inoubliables.
 
J'entrevois des étoiles au fond de ces ordures.
 
J'entre dans une profondeur inhabituelle et une ivresse inédite me gagne. Je m'étonne de ce qui m'arrive, là au bord des sacs éventrés débordants de détritus, à trois heures du matin.
 
L'aventure est statique mais fulgurante. C'est l'odyssée de l'esprit qui s'éveille. L'itinéraire brillant de l'âme qui entame son chemin mythique.
 
Les déchets étalés par terre me montrent une réalité cachée, insolite, riche, palpitante. Face à ces immondices colorées et multiformes, je m'émerveille comme un ange. Curieux, enchanté, je me sens léger devant ce tas d'étranges diamants.
 
Cette exploration nocturne des rebuts ménagers du voisinage déclenche en moi la fièvre de l'or.
 
Je me surprends à être heureux.
 
Et je m'envole, là au pied des sacs-poubelles crevés, tandis que les villageois dorment lourdement.
 
Pour moi tout cela est une nouveauté. Le quotidien se transforme en un voyage intérieur. C'est mon tout premier décollage vers un ciel que je ne parviens pas à nommer.

Et tant d'années après cet évenement, je ne suis toujours pas redescendu de ce clair sommet.

Qui est Raphaël Zacharie de IZARRA ?

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J'ai embrassé tous les aspects du monde, du gouffre le plus bas au sommet le plus glorieux, de l'anodin au sublime, de la bête au divin, du simple caillou à qui j'ai donné la parole jusqu'au fracas galactique que j'ai réduit au silence devant un battement d'aile. Je suis parti du microcosme pour me hisser jusqu'aux astres, sans omettre de poser mon regard à hauteur de vos boutons de chemise. J'ai exploré les vices les plus baroques autant que les vertus les moins partagées, je suis allé sonder les petits ruisseaux mentaux de mes frères humains mais aussi les fleuves nocturnes de mes chats énigmatiques. Je suis allé chercher le feu olympien à droite et à gauche, m'attardant à l'occasion sur mes doigts de pied. J'ai fait tout un fromage de vos mesquineries de mortels, une montagne de mots des fumées de ce siècle, un pâté de sable de vos trésors. L'amour, la laideur, la solitude, la vie, la mort, les rêves, l'excrément, le houblon, la pourriture, l'insignifiance, les poubelles de mon voisin, le plaisir, le vinaigre, la douleur, la mer : tout a été abordé. J'ai embrassé l'Univers d'un regard à la fois grave et loufoque, limpide et fulgurant, lucide et léger, aérien et "enclumier".