vendredi 10 janvier 2014

1 - LES VISITEURS

Qui se doute de quelque chose à Warloy-Baillon, ce pays inconnu qui fut l'asile de ma jeunesse ?

Une petite agglomération comme tant d'autres. Tard le soir, la calme cité devient pourtant le théâtre de phénomènes mystérieux...

Le village est hanté.

Tandis que les habitants sont enchaînés à l'aile de Morphée, des êtres s'ébattent à leur insu. Aux alentours des bosquets, au bord des allées, tout près des  jardins, jusqu'à proximité des habitations, frôlant les cheminées, partout ils se glissent.

Lorsque la Lune paraît, plusieurs fois l'an la commune se peuple d'hôtes fabuleux, de personnages merveilleux, d'entités féeriques. En cet endroit précis de la planète et de la nuit, se donnent rendez-vous pour des festivités irréelles les chimères illustres d'un royaume révolu : les gens de l'Olympe.

On douterait d'un tel prodige dans des lieux aux apparences si anodines... Je fus témoin de ce mystère cependant : alors que je contemplais la splendeur du satellite au-dessus du patelin, je fus invité par la prestigieuse société mythologique à m'associer à ses allégresses nocturnes. Je me suis mêlé à cette assemblée fantastique aux allures de légendes pour qui ce point précis du globe est le site béni pour ses réunions de fêtes !

Je n'avais jamais vu pareille assistance sous ces modestes cieux : rien que des créatures éthérées, linéales, aux traits hellènes et d'une prestance très digne qui m'impressionnait beaucoup. Ces drôles d'immortels dansaient, riaient, volaient, planaient autour de moi, en s'éparpillant progressivement à travers les chemins, les champs, la campagne et les nues. Quelques-unes de ces augustes et brillantes personnes jouaient de la musique, mais pas trop fort, sauf au fond des bois, pour ne pas alerter les dormeurs.

Mais que fêtaient donc ces étranges noctambules qui, de toutes parts, encerclaient le bourg plongé dans le sommeil ? Qu'est-ce qui pouvait attirer ici une troupe céleste si estimable ?

Ils célébraient simplement la légèreté bucolique de ce trou perdu. Pour eux cet espace rural est un exemple d'humble beauté, simple, sans prétention.

Beauté ordinaire mais formelle des lignes du paysage, équilibre banal des formes savamment ordonnées par la nature. Une grâce champêtre tellement coutumière aux natifs, qu'ils ne la voient plus.

J'étais heureux de constater que le berceau de mes premières années pouvait susciter un tel enthousiasme de la part de ces présences sorties de je ne sais où. Ravi de découvrir chez elles cette capacité d'émerveillement. Comblé de savoir qu'à travers ce sol crayeux, ces sentiers délaissés, négligés, ces âmes avaient trouvé une espèce d'éden temporel digne de leurs réjouissances : elles oubliaient le reste du Cosmos, la Grèce, l'Olympe, le ciel et Homère, au moins quelques heures par an, pour savourer ces terres mélancoliques, enchanteresses où j'ai passé mon enfance.

Ils ne parlaient presque pas. Je n'entendais que leur concert au loin qui se mêlait au vent, s'insinuait dans les rues, jusqu'à la porte de chaque demeure, au seuil de chaque foyer : la brise du Nord portait le chant de leurs flûtes.

Cet hymne interprété en cette contrée, c'était une façon paisible de ceindre le monde. Une manière de le considérer sans heurt, globalement, avec un sourire au coeur, car dans ce cadre tout n'est que courbes mesurées et angles sans excès. Rien de particulier ne retient l'attention au premier abord... Les charmes de ces horizons sont bien cachés, et les profanes ne s'attardent pas là-bas.

Seuls ces esprits singuliers sont véritablement au centre de leur univers dans ce secteur. Le décor entier formant, selon eux, une unité dont ils font intimement partie, entre moulin et clocher, monts et taillis, plaines et routes.

Monsieur le Maire, ces toits sur lesquels vous veillez, ces coins et terrains dont vous avez le soin, ces places coquettes qui font honneur à votre nom, cette localité enfin qui respire sous votre autorité, c'est le séjour des dieux.

Tous à Warloy-Baillon dormez à poings fermés : de doux génies veillent sur vos songes, en quelque sorte. Pendant que vous rêvez, des anges se promènent chez vous.

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Qui est Raphaël Zacharie de IZARRA ?

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J'ai embrassé tous les aspects du monde, du gouffre le plus bas au sommet le plus glorieux, de l'anodin au sublime, de la bête au divin, du simple caillou à qui j'ai donné la parole jusqu'au fracas galactique que j'ai réduit au silence devant un battement d'aile. Je suis parti du microcosme pour me hisser jusqu'aux astres, sans omettre de poser mon regard à hauteur de vos boutons de chemise. J'ai exploré les vices les plus baroques autant que les vertus les moins partagées, je suis allé sonder les petits ruisseaux mentaux de mes frères humains mais aussi les fleuves nocturnes de mes chats énigmatiques. Je suis allé chercher le feu olympien à droite et à gauche, m'attardant à l'occasion sur mes doigts de pied. J'ai fait tout un fromage de vos mesquineries de mortels, une montagne de mots des fumées de ce siècle, un pâté de sable de vos trésors. L'amour, la laideur, la solitude, la vie, la mort, les rêves, l'excrément, le houblon, la pourriture, l'insignifiance, les poubelles de mon voisin, le plaisir, le vinaigre, la douleur, la mer : tout a été abordé. J'ai embrassé l'Univers d'un regard à la fois grave et loufoque, limpide et fulgurant, lucide et léger, aérien et "enclumier".