vendredi 10 janvier 2014

8 - LA VERRIÈRE

Vers mes huit ans, une réalité insoupçonnée s'est révélée à moi. Mon quotidien s'est déchiré, laissant apparaître une clarté à laquelle peu d'êtres ont accès. Rares sont ceux qui dans leur existence ont ainsi été initiés à la subtilité des faits que je vais relater.

Je baguenaudais seul dans la rue, puéril et insouciant, cherchant la distraction comme il est de coutume chez les gens de mon âge... Chemin faisant, je m'arrêtai devant une maison en briques. Je connaissais depuis ma petite enfance cette demeure habitée par de vieilles gens aux us désuets. Elle faisait partie de mon décor. C'était une fort belle résidence, cossue, bourgeoise, quoique austère.

Je n'avais jamais prêté attention à ces murs, sauf peut-être pour m'affliger de leur tristesse, de la gravité de leurs occupants. Une grande verrière coiffait le toit. Surannée, imposante, ouvragée avec de savants raffinements, cette oeuvre garnie de vitraux teintés m'avait toujours semblé dissimuler quelque salon solennel, sombre et poussiéreux. Je songeais à un presbytère sinistre, à un cloître plein de vieux livres de latin, à un refuge de dames rétrogrades et ennuyeuses...

Mais là, un sentiment inédit m'envahit. Je vis une autre image à la place de ce sévère, cérémoniel ouvrage d'art qui habituellement m'inspirait morosité, pesanteur, archaïsme. Pour la première fois je lui trouvai des attraits étranges, troublants. Derrière l'écorce, je voyais l'invisible. Une vraie nouveauté pour moi !

Une porte s'était ouverte.

Je découvrais avec étonnement que les éléments -décors, habitations, objets, insignifiances, détails- bornant le réel dans sa forme la plus banale, la plus terne, cachaient en fait des horizons sans fin. La fenêtre multicolore devenait pour moi un pont entre le visible et le voilé. Je ne croyais plus en la simplicité du roc, en la brutalité du tangible, en la grossièreté des apparences. Le monde portait un masque. A travers l'obscur vitrage je venais de capter un rai de lumière issu de la brume des choses.

Les carreaux composant la baie, épais, denses, lourds, me disaient la finesse de leurs effets, la délicatesse de leurs pensées, la légèreté de leur spectre, la profondeur de leurs réflexions, la hauteur de leur esprit...

Ainsi l'architecture paraissait vive... Dans le verre, un souffle, un sortilège, une âme !

Par ses reflets de vérités immatérielles, la structure me racontait secrètement qui j'étais sur cette terre de mirages palpables. Elle me révélait que je représentais mieux qu'une simple part de matière... Quoiqu'encore enfant dénué de véritable expérience, je sus désormais que tout visage avait sa face inconnue, éthérée, infinie. Jamais je ne me suis remis de l'enchantement. Le Mystère, la Beauté, la Vie sont entrés humblement en moi à travers la verrière.

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Qui est Raphaël Zacharie de IZARRA ?

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J'ai embrassé tous les aspects du monde, du gouffre le plus bas au sommet le plus glorieux, de l'anodin au sublime, de la bête au divin, du simple caillou à qui j'ai donné la parole jusqu'au fracas galactique que j'ai réduit au silence devant un battement d'aile. Je suis parti du microcosme pour me hisser jusqu'aux astres, sans omettre de poser mon regard à hauteur de vos boutons de chemise. J'ai exploré les vices les plus baroques autant que les vertus les moins partagées, je suis allé sonder les petits ruisseaux mentaux de mes frères humains mais aussi les fleuves nocturnes de mes chats énigmatiques. Je suis allé chercher le feu olympien à droite et à gauche, m'attardant à l'occasion sur mes doigts de pied. J'ai fait tout un fromage de vos mesquineries de mortels, une montagne de mots des fumées de ce siècle, un pâté de sable de vos trésors. L'amour, la laideur, la solitude, la vie, la mort, les rêves, l'excrément, le houblon, la pourriture, l'insignifiance, les poubelles de mon voisin, le plaisir, le vinaigre, la douleur, la mer : tout a été abordé. J'ai embrassé l'Univers d'un regard à la fois grave et loufoque, limpide et fulgurant, lucide et léger, aérien et "enclumier".